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Sunday, 23 November 2025

La responsabilité de la communauté internationale dans la crise de l’Est de la RDC

La responsabilité de la communauté internationale dans la crise de l'Est de la RDC : ambiguïté diplomatique, inaction volontaire et faillite morale

Introduction : une crise profonde aggravée par le silence international

La crise de l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) traverse une phase critique, marquée par l'intensification des violences, l'occupation de vastes territoires par le M23, l'implication active du Rwanda et un effondrement humanitaire qui touche des millions de civils. L'un des symboles les plus frappants de cette situation est le refus persistant d'ouvrir l'aéroport international de Goma, infrastructure vitale pour la survie des populations et pour la souveraineté de la RDC.
Pourtant, lors de la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs, tenue à Paris le 30 octobre 2025, les États et institutions internationaux avaient unanimement recommandé la réouverture immédiate de cet aéroport. Cette mesure devait permettre l'accès humanitaire, la reprise économique et le rétablissement progressif de l'autorité congolaise. Malgré cela, aucun gouvernement, aucune organisation internationale, aucune puissance impliquée n'a exigé fermement sa mise en œuvre. Le Rwanda a catégoriquement refusé cette recommandation, et la communauté internationale a accepté ce refus par son silence.

Ce constat soulève une question fondamentale : comment une crise aussi grave, documentée depuis des années, peut-elle se poursuivre sous les yeux de la communauté internationale sans que celle-ci n'assume ses obligations morales et juridiques ?
Cet article propose une analyse approfondie de la responsabilité internationale, en mettant en lumière les comportements des grandes puissances, des organisations régionales et de l'ONU, ainsi que leurs implications morales, politiques et juridiques.

Les grandes puissances : entre calcul géopolitique et incohérence diplomatique

Les États-Unis : une puissance influente qui choisit l'ambiguïté

Les États-Unis, première puissance mondiale, disposent d'un poids politique considérable dans la région des Grands Lacs. Le Rwanda est un allié clé de Washington, notamment dans le maintien de la sécurité régionale et la lutte contre certains groupes extrémistes. Pourtant, malgré les multiples rapports démontrant l'implication rwandaise dans le soutien au M23 et l'occupation de territoires congolais, Washington n'a jamais exigé la réouverture de l'aéroport de Goma.
Le discours officiel américain, fondé sur la diplomatie prudente, évoque un soutien à la paix, mais sans mesure coercitive ni pression politique sur Kigali. Cette attitude reflète une priorité : préserver une alliance stratégique, même si cela implique de sacrifier la souveraineté de la RDC et la sécurité de millions de civils.

La France : entre leadership proclamé et silence post-conférence

En organisant la Conférence de Paris, la France s'est présentée comme un acteur majeur de la paix dans les Grands Lacs. Le président Emmanuel Macron, qui présidait la conférence en présence du facilitateur Faure Gnassingbé, avait mis en avant la nécessité de défendre la souveraineté de la RDC et de promouvoir une solution durable.
Pourtant, lorsque le Rwanda a publiquement rejeté la recommandation centrale de la conférence – la réouverture de l'aéroport de Goma –, Paris est resté silencieux. Aucun communiqué, aucune lettre diplomatique, aucune déclaration officielle n'a exigé l'application des engagements pris.
Cette incohérence affaiblit la crédibilité de la France et montre que la conférence n'a été, pour l'essentiel, qu'un exercice rhétorique sans volonté politique réelle d'assumer les conséquences de ses propres décisions.

Le Qatar : une neutralité passive qui favorise l'immobilisme

Le Qatar, nouvel acteur diplomatique majeur dans la région, a joué un rôle de soutien dans le financement et la facilitation des discussions. Pourtant, son implication active ne s'est pas traduite par une exigence claire d'application des engagements de Paris. Le Qatar a choisi une neutralité passive, refusant de s'opposer à Kigali et laissant ainsi le refus rwandais s'imposer sans résistance politique.
Cette posture renforce le statu quo et contribue à la paralysie internationale.

L'Union africaine : l'impuissance d'une institution paralysée par le consensus

L'Union africaine (UA), censée défendre les intérêts du continent et protéger la souveraineté de ses États membres, s'est révélée incapable d'agir efficacement dans la crise congolaise.
Dans ses communiqués, l'UA appelle à un dialogue africain, à la désescalade et à des solutions concertées. Pourtant, aucune mesure concrète n'a été prise pour exiger la réouverture de l'aéroport de Goma, condamner les actions du Rwanda ou protéger les populations civiles congolaises.
Cette paralysie résulte de la logique interne de l'UA, qui cherche à éviter les confrontations directes entre États membres, y compris lorsque l'un d'entre eux viole flagrante le droit international. Le principe de non-ingérence, dans ce cas, devient un outil qui protège les gouvernements et non les peuples.

Les Nations unies : l'effondrement d'un système censé garantir la paix

Le rôle des Nations unies dans la crise congolaise est particulièrement révélateur d'un système international en perte d'autorité.
En 2024, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2773, qui impose la cessation du soutien aux groupes armés et exige le retrait immédiat du M23 des zones occupées, l'ouverture de corridors humanitaires et le rétablissement de l'autorité congolaise.
Cette résolution, adoptée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, est juridiquement contraignante. Elle impose à tous les États membres, y compris le Rwanda, de la respecter.

Pourtant, Kigali l'a ouvertement ignorée. Le M23 n'a pas reculé ; au contraire, il a consolidé sa présence militaire et administrative dans plusieurs zones stratégiques. Les violations des droits humains se sont multipliées. Les routes et l'aéroport de Goma restent fermés, empêchant l'accès humanitaire.
Malgré cette violation manifeste du droit international, le Conseil de sécurité n'a pris aucune mesure de sanction, aucune mesure coercitive, aucun avertissement diplomatique.
Ce comportement affaiblit le système multilatéral et montre que les résolutions des Nations unies peuvent devenir des textes symboliques si elles ne sont pas accompagnées d'une volonté politique réelle.

Le contrôle de facto de l'aéroport de Goma par le Rwanda : une atteinte directe à la souveraineté

Les déclarations rwandaises au lendemain de la Conférence de Paris ont confirmé une réalité dangereuse : le Rwanda parle comme s'il détenait l'autorité sur l'aéroport de Goma. En affirmant que « les conditions ne permettent pas la reprise des vols », Kigali s'est positionné comme un acteur de décision sur une infrastructure appartenant à un État souverain.
Cette déclaration constitue une violation grave du droit international, mais elle révèle surtout une vérité que la communauté internationale refuse d'affronter : le Rwanda exerce un contrôle de facto sur une partie du territoire congolais, y compris ses infrastructures stratégiques.
Le silence du monde face à cette réalité confirme la complicité passive de nombreux États et institutions.

Responsabilité morale et juridique des puissances internationales : le droit, l'éthique et la faillite collective

La responsabilité morale : le silence qui tue

Les puissances internationales ne peuvent ignorer la gravité de la situation. Elles disposent de preuves irréfutables démontrant les violations commises dans l'Est de la RDC, y compris les exactions, les déplacements massifs, le soutien militaire du Rwanda au M23, l'exploitation illégale des ressources et l'imposition de structures administratives parallèles.
Face à ces faits, leur silence constitue un manquement moral grave.
S'abstenir d'agir lorsqu'on connaît les violations et qu'on dispose des moyens d'influer sur leur cessation est une forme de participation indirecte à ces violences.
Aucune nation ne peut proclamer défendre les droits humains tout en tolérant l'effondrement humanitaire d'un pays entier.

La responsabilité juridique : le droit international violé et non appliqué

La résolution 2773 du Conseil de sécurité impose aux États l'obligation de faire respecter ses dispositions. En laissant le Rwanda l'ignorer, les puissances membres du Conseil, en particulier celles disposant d'un droit de veto, violent elles-mêmes leur obligation internationale.
Le droit international humanitaire impose également la protection des civils, l'accès humanitaire et l'interdiction d'aider des groupes armés.
Le blocage de l'aéroport de Goma viole ces normes fondamentales. Et la communauté internationale, en refusant d'exiger sa réouverture, contribue juridiquement à la violation de ces règles.
La jurisprudence internationale reconnaît le concept de responsabilité par omission : lorsqu'un État est en mesure d'empêcher une violation grave mais choisit de ne rien faire, il en porte la responsabilité.

La responsabilité de protéger (R2P)

Adoptée en 2005, la doctrine de la responsabilité de protéger impose aux États l'obligation d'intervenir – diplomatiquement, politiquement ou juridiquement – lorsque des populations civiles sont victimes de crimes massifs.
Les millions de déplacés, les exactions documentées et l'isolement humanitaire imposé à Goma remplissent tous les critères de cette doctrine.
Pourtant, aucune puissance ne l'a invoquée.
Cette absence constitue un échec historique et remet en cause la crédibilité même de la R2P.

Conclusion : la communauté internationale, un acteur de la crise plutôt qu'un garant de la paix

La crise de l'Est de la RDC n'est pas seulement la conséquence de tensions régionales ou de rivalités historiques. Elle est aussi le résultat d'une faillite morale et juridique de la communauté internationale.
En refusant d'appliquer la résolution 2773, en laissant le Rwanda contrôler de facto une infrastructure congolaise stratégique, en acceptant le refus de la réouverture de l'aéroport de Goma, et en restant silencieuses face aux exactions et aux déplacements massifs, les puissances internationales se rendent complices de la fragmentation progressive de la RDC.
Cette crise révèle un effondrement des principes fondamentaux du système international : souveraineté, égalité entre États, protection des civils, application du droit.
Tant que la communauté internationale continuera à privilégier ses alliances stratégiques et ses intérêts économiques plutôt que la justice, le droit et la vie humaine, l'Est du Congo restera abandonné à la violence, à l'occupation et à l'indifférence.

Références

  1. European External Action Service (EEAS), « Conference for Peace and Prosperity in the Great Lakes Region », 30 octobre 2025.
  2. Ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères, « Conference in Paris on 30 October, in support of peace and prosperity in the Great Lakes region », 16 octobre 2025.
  3. Conseil de sécurité de l'United Nations, « Resolution S/RES/2773 (2025) » sur « The situation concerning the Democratic Republic of the Congo », adoptée le 21 février 2025.
  4. Human Rights Watch, « Paris Meeting Should Prioritize Promoting Aid and Justice in Congo », 30 octobre 2025.
  5. EJIL:Talk! blog, « Three Legal Issues on First Reading of Resolution 2773 (2025) on Eastern DRC », 7 mars 2025.
  6. UK Government, « The United Kingdom urges the parties in eastern DRC to continue to engage in the ongoing peace-processes … including the demands of the Council set out in Security Council resolution 2773. », 13 octobre 2025.

Préparé par :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
Africa Realise, London, UK

 

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