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Sunday, 23 November 2025

Le refus de la réouverture de l’aéroport de Goma par le Rwanda après la Conférence de Paris

Le refus de la réouverture de l'aéroport de Goma par le Rwanda après la Conférence de Paris : une confirmation de la balkanisation en cours de la RDC

Introduction : un tournant diplomatique manqué

Le 30 octobre 2025, Paris a accueilli un événement diplomatique majeur : la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs. Cette rencontre, présidée par le président français Emmanuel Macron et conduite avec le facilitateur régional Faure Essozimna Gnassingbé, président du Togo, avait pour ambition de relancer une dynamique politique capable d'enrayer la détérioration sécuritaire dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Elle réunissait gouvernements, bailleurs internationaux, institutions multilatérales et agences humanitaires, tous conscients de l'urgence humanitaire et des enjeux géopolitiques de la région.

À l'issue des travaux, la conférence a annoncé la mobilisation d'environ 1,5 milliard d'euros, une somme destinée à soutenir la stabilisation, l'aide humanitaire, la reconstruction et la relance économique. L'une des recommandations centrales concernait la réouverture immédiate de l'aéroport international de Goma, infrastructure essentielle pour la sécurité, l'économie et les opérations humanitaires. Pourtant, malgré l'accord international, le Rwanda s'y est catégoriquement opposé. Ce refus est loin d'être un simple désaccord logistique ; il constitue une étape décisive confirmant que la balkanisation progressive de la RDC est en cours.

La Conférence de Paris : un effort international de stabilisation

Le contexte diplomatique et les acteurs clés

La Conférence de Paris s'inscrivait dans un long parcours de tentatives de médiation qui n'avaient jusque-là jamais permis une stabilisation durable. Contrairement aux initiatives précédentes, la rencontre de Paris a bénéficié d'un soutien politique de haut niveau, notamment de la France, désireuse de jouer un rôle structurant dans une région menacée par une escalade militaire, une catastrophe humanitaire et une fragmentation territoriale croissante.

Emmanuel Macron, en tant que président de la République française, a donné une importance particulière à cette conférence, tant sur le plan politique que diplomatique. Faure Gnassingbé, en qualité de facilitateur officiel entre Kigali et Kinshasa, a joué un rôle central pour obtenir un engagement verbal des parties et définir un mécanisme de suivi.

Le titre et les objectifs officiels de la conférence

Son titre complet, « Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs », reflète son ambition. Il s'agissait de renforcer les efforts régionaux de paix, de mobiliser des financements substantiels, et d'établir une feuille de route claire pour la stabilisation de la RDC et de ses voisins.

Les discussions se sont articulées autour de trois axes : la sécurité régionale, l'accès humanitaire et la reconstruction économique. La réouverture de l'aéroport de Goma constituait l'une des mesures d'urgence prioritaires, car elle représentait un levier essentiel pour toutes les autres recommandations.

Les principales recommandations formulées à Paris

La réouverture immédiate de l'aéroport de Goma

De toutes les recommandations adoptées, celle concernant l'aéroport de Goma fut considérée comme la plus urgente. Les participants ont souligné que cet aéroport est l'unique passerelle aérienne du Nord-Kivu reliant la région au reste du monde. Sa réouverture devait permettre un retour des vols humanitaires, l'acheminement des secours, la reprise des activités économiques et la restauration de la présence étatique dans une zone largement fragilisée par l'avancée du M23.

Le respect strict de l'intégrité territoriale de la RDC

La conférence a réaffirmé que la souveraineté de la RDC constitue un principe non négociable. Les participants ont rappelé l'illégalité de toute occupation territoriale par des forces étrangères ou par des groupes armés soutenus depuis l'extérieur, insistant sur le fait que toute tentative de redéfinition territoriale doit être fermement condamnée.

L'accès humanitaire sans entrave

L'un des objectifs immédiats était de garantir que les organisations humanitaires puissent atteindre les populations déplacées et sinistrées. Les dirigeants présents ont insisté sur la nécessité d'ouvrir des corridors humanitaires sûrs, de faciliter la circulation des travailleurs humanitaires, et de protéger les civils pris au piège des hostilités.

La fin du soutien aux groupes armés

La conférence a rappelé que les groupes armés opérant dans l'Est de la RDC, notamment le M23, les FDLR, les ADF et d'autres milices transnationales, doivent être démantelés. Les participants ont demandé que toute aide extérieure, qu'elle soit militaire, logistique ou financière, cesse immédiatement.

Un engagement financier historique de 1,5 milliard d'euros

Les bailleurs internationaux ont annoncé une enveloppe totale de 1,5 milliard d'euros, composée d'aides humanitaires, de fonds de stabilisation, de programmes de reconstruction et d'investissements dans le développement régional. Cette somme devait constituer un soutien structurel à la reconstruction et à la paix.

Un mécanisme de suivi diplomatique confié au facilitateurs

Faure Gnassingbé a reçu la mission officielle de superviser la mise en œuvre des recommandations. Il devait coordonner les consultations entre Kinshasa et Kigali, produire des rapports intermédiaires, et veiller au respect des engagements pris à Paris.

Le refus du Rwanda : un signal politique lourd de conséquences

L'enjeu stratégique de Goma pour Kigali

Moins de 48 heures après la conférence, le Rwanda a rejeté la recommandation de réouverture de l'aéroport de Goma. Ce refus ne peut être interprété que comme un calcul stratégique. Goma, ville frontalière du Rwanda, constitue un centre économique vital, un hub logistique incontournable et une porte d'entrée vers les territoires occupés par le M23.

La réouverture de l'aéroport aurait permis à Kinshasa de renforcer son autorité, de transférer rapidement des troupes, de déployer des services essentiels et de faciliter l'action humanitaire. Elle aurait également permis à la communauté internationale de constater de façon plus transparente la situation sur le terrain.

En s'opposant à cette mesure, le Rwanda cherche à maintenir une zone d'influence contrôlée indirectement à travers le M23, garantissant ainsi une fragilisation durable de l'État congolais dans la région.

Une stratégie cohérente avec un agenda régional plus large

Le refus rwandais n'est pas un incident isolé. Depuis plus de vingt ans, Kigali poursuit une stratégie combinant pression militaire, soutien aux groupes rebelles, implantation d'administrations parallèles et exploitation illégale des ressources congolaises. L'objectif n'est jamais formulé officiellement, mais les effets cumulatifs indiquent une tentative de transformer une partie de l'Est de la RDC en un espace sous influence rwandaise.

L'aéroport de Goma est une infrastructure cruciale. Le maintenir fermé revient à isoler davantage le Nord-Kivu, à empêcher la reconstruction, et à consolider la présence du M23.

La balkanisation de la RDC : un processus désormais visible

Des signes de fragmentation territoriale évidents

Dans les zones occupées par le M23, les observateurs constatent la mise en place d'une administration parallèle. Des officiers étrangers circulent librement, une fiscalité informelle est imposée, et certaines transactions économiques se font en franc rwandais. Les ressources naturelles sont exploitées de façon systématique et transportées vers le Rwanda, sans que l'État congolais ne puisse intervenir.

La fermeture durable de l'aéroport de Goma s'inscrit pleinement dans cette logique. Elle marque une rupture logistique entre le Nord-Kivu et le reste du pays, transformant progressivement la région en zone coupée de Kinshasa.

La transformation de Goma en zone d'influence extérieure

Goma, en tant que capitale provinciale, possède une valeur symbolique et stratégique immense. La volonté de Kigali d'empêcher sa réouverture aérienne indique qu'il existe une intention claire : réduire la capacité de l'État congolais à contrôler ses propres territoires et favoriser la création d'une entité géopolitique en marge de la souveraineté nationale congolaise.

Conclusion : un refus qui confirme l'avancée de la balkanisation

La Conférence de Paris avait pour ambition d'ouvrir une nouvelle page pour la région des Grands Lacs. Elle a mobilisé des ressources financières exceptionnelles, réuni des acteurs internationaux importants et proposé des solutions claires. Pourtant, le refus catégorique du Rwanda d'autoriser la réouverture de l'aéroport de Goma montre que certains acteurs n'ont aucun intérêt à la stabilisation.

Ce refus confirme une dynamique inquiétante : la balkanisation progressive de la RDC n'est plus une hypothèse mais un processus visible, structuré et mis en œuvre sur le terrain. Face à cela, il appartient aux États et institutions qui ont pris part à la conférence de Paris de reconnaître la gravité de la situation et d'assumer leurs responsabilités dans le suivi des engagements.

Références

-RFI Afrique, « RDC : à Paris, une conférence de soutien à la paix dans la région des Grands Lacs », octobre 2025.
-Human Rights Watch, « Paris Meeting Should Prioritize Promoting Aid and Justice in Congo », octobre 2025.
-European External Action Service (EEAS), « Conference for Peace and Prosperity in the Great Lakes Region », communiqué, novembre 2025.
-Xinhua / English.news.cn, « France mobilizes 1.74 billion USD for Great Lakes peace efforts », octobre 2025.
-Nations Unies, Groupe d'experts sur la RDC, rapports 2012–2024.
-International Crisis Group, analyses sur les conflits en Afrique centrale et la question du M23.

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