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Tuesday, 11 November 2025

La coopération RDC–USA : une initiative souveraine détournée par l’ingérence rwandaise

La République Démocratique du Congo (RDC), riche en ressources naturelles et en minerais stratégiques indispensables à la transition énergétique mondiale, a récemment entrepris une démarche souveraine et légitime : renforcer sa coopération avec les États-Unis dans le domaine de la sécurité et du développement économique. L’objectif de cette initiative était clair et rationnel : obtenir un partenariat solide avec Washington afin de sécuriser le territoire congolais, restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du pays, et garantir un cadre stable pour l’exploitation et la valorisation des minerais critiques – tels que le cobalt, le lithium, et le coltan – essentiels à l’industrie technologique mondiale.

Cependant, au lieu de traiter la RDC comme un partenaire souverain à part entière, les États-Unis ont choisi d’impliquer le Rwanda dans ce processus, transformant une initiative bilatérale en un cadre tripartite opaque et déséquilibré. Cette décision, perçue par de nombreux Congolais comme une ingérence politique, a eu pour effet de bloquer une coopération pourtant vitale pour la stabilité et le développement du pays. En introduisant Kigali dans une relation qui devait relever du dialogue exclusif entre Kinshasa et Washington, les États-Unis ont, volontairement ou non, sapé la souveraineté congolaise et compromis la finalité sécuritaire de cette initiative.

1. Une initiative souveraine et légitime de la RDC

L’État congolais a depuis longtemps compris que sa sécurité intérieure et son développement économique sont étroitement liés à la gestion rationnelle et souveraine de ses ressources naturelles. Après des décennies de conflits dans l’Est, largement alimentés par le trafic illicite des minerais, la RDC a cherché à s’appuyer sur des partenaires internationaux capables de soutenir ses efforts de stabilisation, notamment dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri.

C’est dans ce contexte que le gouvernement congolais a entrepris de renforcer ses relations avec les États-Unis. Washington, conscient des enjeux géostratégiques des minerais critiques dans la compétition technologique mondiale, s’est montré intéressé par la création d’un partenariat économique et sécuritaire avec Kinshasa. L’idée était de garantir des chaînes d’approvisionnement « éthiques », c’est-à-dire exemptes de minerais issus des zones de conflit ou du travail forcé, tout en soutenant la souveraineté congolaise et la bonne gouvernance.

Cette initiative bilatérale représentait une opportunité historique : la RDC, par son potentiel minier, se positionnait comme un acteur clé dans la transition énergétique mondiale, tandis que les États-Unis pouvaient sécuriser leurs approvisionnements stratégiques sans dépendre de la Chine. Ce partenariat reposait donc sur un équilibre mutuel d’intérêts et de respect de la souveraineté nationale.

2. L’ingérence du Rwanda : une manœuvre politique contre-productive

Malheureusement, au lieu de respecter ce cadre bilatéral, les États-Unis ont choisi d’associer le Rwanda à cette coopération. Cette inclusion injustifiée a immédiatement suscité des interrogations légitimes. Comment un pays reconnu par les Nations unies et de multiples rapports internationaux comme soutien du groupe armé M23 – responsable d’exactions contre des civils congolais – peut-il être introduit dans une initiative censée renforcer la sécurité de la RDC ?

Pour beaucoup d’observateurs, cette décision américaine répond à une logique géopolitique plutôt qu’à une logique de paix. Washington, considérant le Rwanda comme un « allié stable » et un partenaire militaire dans la région des Grands Lacs, a préféré privilégier ses intérêts stratégiques à long terme – notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de présence militaire en Afrique de l’Est – plutôt que de soutenir pleinement la souveraineté congolaise.

Cette approche illustre une politique étrangère ambiguë : d’un côté, les États-Unis déclarent soutenir la paix et la stabilité de la RDC ; de l’autre, ils légitiment indirectement un acteur accusé d’agression et d’occupation dans l’Est du pays. Le Rwanda, en étant introduit dans cette coopération, obtient un avantage diplomatique considérable : il apparaît comme un partenaire égal de la RDC, alors même qu’il est en conflit ouvert avec elle. Ce brouillage des responsabilités dilue la clarté politique du processus et fragilise la position congolaise.

3. Un partenariat déséquilibré qui bloque la coopération

L’introduction du Rwanda dans le processus a eu pour conséquence immédiate le ralentissement, voire le blocage, de cette coopération stratégique. En effet, pour que la RDC puisse sécuriser ses zones minières, il faut d’abord neutraliser les groupes armés soutenus par Kigali. Or, comment un accord censé renforcer la sécurité congolaise peut-il être efficace si l’un des principaux déstabilisateurs du pays fait partie des négociations ?

Cette situation paradoxale empêche toute avancée concrète. Les États-Unis, en cherchant à ménager à la fois la RDC et le Rwanda, se retrouvent dans une position de médiateur incohérente, incapable de prendre des décisions fermes contre l’agression rwandaise. En réalité, cette approche tripartite légitime le statu quo : le Rwanda continue à bénéficier de l’exploitation illégale des ressources congolaises via des réseaux transfrontaliers, tandis que la RDC reste empêtrée dans une insécurité chronique.

De plus, cette confusion institutionnelle entrave la crédibilité du gouvernement congolais vis-à-vis de sa population. Beaucoup de Congolais perçoivent ce « partenariat à trois » comme une trahison de leur souveraineté. Le peuple congolais, qui espérait un appui américain direct à la sécurisation de son territoire, constate avec amertume que cette coopération est devenue un outil diplomatique ambigu, où les intérêts de la RDC passent au second plan.

4. La souveraineté congolaise mise à l’épreuve

Le cœur du problème réside dans la reconnaissance de la RDC comme un État pleinement souverain. En introduisant le Rwanda dans une initiative strictement bilatérale, les États-Unis semblent nier à la RDC sa capacité à définir seule ses partenaires et ses priorités sécuritaires. Ce manque de respect pour la souveraineté congolaise rappelle des pratiques héritées de la guerre froide, où les grandes puissances décidaient du sort des États africains en fonction de leurs propres intérêts géostratégiques.

Pourtant, la RDC n’est pas un État sous tutelle. C’est un pays démocratique, doté d’institutions légitimes, d’une armée nationale et d’une diplomatie active. Son président, élu au suffrage universel, a la responsabilité constitutionnelle de défendre l’intégrité territoriale du pays. En acceptant tacitement l’ingérence du Rwanda dans ses affaires bilatérales, la RDC donne l’image d’un État affaibli, alors qu’elle dispose du droit absolu de refuser toute médiation imposée.

5. L’indifférence apparente de la RDC : une faiblesse stratégique

Ce qui inquiète encore davantage, c’est l’attitude relativement passive du gouvernement congolais face à cette situation. Malgré les évidentes contradictions de la politique américaine, la RDC semble hésiter à dénoncer clairement l’ingérence du Rwanda dans cette coopération. Cette indifférence apparente pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs : la peur de compromettre l’aide internationale, la volonté de maintenir de bonnes relations diplomatiques avec Washington, ou encore les pressions exercées par certaines puissances régionales.

Cependant, cette prudence diplomatique pourrait se transformer en faiblesse stratégique. En ne réaffirmant pas avec force sa souveraineté, la RDC envoie un signal d’ambiguïté à ses partenaires et à son propre peuple. Elle risque d’être perçue comme un acteur passif dans la défense de ses intérêts nationaux. Or, l’histoire récente du pays démontre que chaque recul diplomatique se traduit tôt ou tard par une aggravation du désordre sécuritaire sur le terrain.

6. Pour une diplomatie congolaise assertive et indépendante

Face à cette situation, la RDC doit impérativement redéfinir sa stratégie diplomatique. Il est temps que Kinshasa adopte une position claire et assertive vis-à-vis de ses partenaires internationaux. La coopération avec les États-Unis demeure essentielle, mais elle doit se faire dans le respect total de la souveraineté nationale. Cela implique de rappeler aux autorités américaines que les questions de sécurité intérieure et de gestion des ressources stratégiques relèvent exclusivement de la compétence congolaise.

La RDC doit également mobiliser ses alliances africaines et multilatérales pour dénoncer toute ingérence injustifiée. Le continent africain traverse une période de réaffirmation de sa souveraineté, et la RDC, en tant que deuxième plus grand pays d’Afrique, se doit d’en être un exemple. Une diplomatie plus ferme permettrait non seulement de renforcer la position du pays, mais aussi de restaurer la confiance de la population dans les institutions nationales.

Conclusion : réaffirmer la souveraineté pour préserver l’avenir

L’initiative congolaise visant à coopérer avec les États-Unis sur la sécurité et les minerais critiques était une démarche souveraine, légitime et stratégique. Malheureusement, l’ingérence du Rwanda dans ce processus, encouragée par une politique américaine mal calibrée, a compromis les bénéfices attendus.

En traitant la RDC et le Rwanda sur un pied d’égalité dans une question qui relevait exclusivement de la souveraineté congolaise, les États-Unis ont affaibli une dynamique de coopération pourtant essentielle à la stabilité de la région. Il appartient désormais à la RDC de rompre avec cette indifférence apparente et de réaffirmer avec fermeté son droit à décider seule de son avenir.

La paix et la prospérité du Congo passent par une diplomatie indépendante, fondée sur la dignité nationale, le respect mutuel et la défense intransigeante de la souveraineté.

Préparé par :

Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance, London, UK

Wednesday, 5 November 2025

République démocratique du Congo (RDC) : la paix comme instrument géopolitique

 Depuis près de trois décennies, la République démocratique du Congo (RDC) demeure l'épicentre d'une instabilité régionale où s'entremêlent intérêts économiques, enjeux sécuritaires et rivalités d'influence. Les conflits récurrents dans l'Est du pays — notamment dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l'Ituri et du Maniema — révèlent non seulement la fragilité structurelle de l'État congolais, mais surtout l'instrumentalisation systématique de cette faiblesse par des puissances étrangères et régionales.

Deux dynamiques diplomatiques récentes incarnent cette réalité :

  • Le système de Washington, qui repose sur une logique d'intégration régionale économique et sécuritaire prétendument bénéfique à la stabilité, mais dont les dividendes réels favorisent principalement le Rwanda ;
  • Le système de Doha, qui tend à légitimer la rébellion du M23 et à entériner la fragmentation de la souveraineté congolaise au profit de Kigali.

Dans les deux cas, ces dispositifs de paix s'inscrivent dans une diplomatie de façade où les mécanismes de résolution des conflits se transforment en outils d'influence et de contrôle, plutôt qu'en instruments de justice et de souveraineté.

1. Le système de Washington : une paix asymétrique qui récompense l'agresseur

1.1 L'architecture du système

Le "système de Washington" désigne la politique américaine de gestion de la crise dans les Grands Lacs, articulée autour de trois axes principaux :

1.   La sécurisation des zones minières stratégiques pour les chaînes d'approvisionnement mondiales (cobalt, coltan, lithium, cuivre) ;

2.   La stabilisation régionale par l'intégration économique, notamment à travers la coopération entre le Rwanda et la RDC, y compris l'exploitation commune de certaines ressources congolaises ;

3.   La coopération sécuritaire privilégiée avec le Rwanda, perçu comme un partenaire stable et fiable.

Cette approche repose sur une logique utilitariste : la stabilité régionale nécessiterait le leadership d'un État fort, en l'occurrence le Rwanda. L'accord signé le 27 juin 2025 à Washington entre la RDC et le Rwanda, avec la participation du président Donald Trump, illustre cette vision : il privilégie une normalisation rapide des relations sans résoudre les causes profondes du conflit.

1.2 L'exploitation systématique de la faiblesse congolaise

Consciente de son incapacité à protéger son territoire et à valoriser seule ses ressources, la RDC s'est tournée vers Washington pour obtenir un appui sécuritaire en échange de garanties économiques dans le secteur minier. Cependant, cette dépendance a créé une relation profondément asymétrique où le Congo apparaît davantage comme un terrain d'expérimentation géostratégique que comme un acteur souverain.

Pendant ce temps, Paul Kagame instrumentalise habilement cette dynamique : il se positionne comme un acteur indispensable à la paix régionale, alors même que ses forces et ses alliés — notamment le M23 — déstabilisent activement la RDC. Cette stratégie permet au Rwanda de :

  • Bénéficier d'un capital diplomatique auprès des puissances occidentales ;
  • Obtenir des investissements et aides bilatérales au nom de la stabilité régionale ;
  • Maintenir un accès privilégié aux minerais congolais via des circuits de contrebande structurés.

Selon le US Geological Survey, les exportations de coltan du Rwanda ont augmenté de 50% entre 2022 et 2023, alors que le pays ne dispose pas de réserves suffisantes pour justifier de tels volumes. Ces minerais proviennent en réalité de zones contrôlées par le M23 en RDC, notamment de Rubaya, l'une des plus grandes sources de coltan au monde, tombée aux mains du M23 en avril 2024. Les experts estiment que le M23 perçoit au moins 800 000 dollars par mois uniquement grâce aux taxes sur le coltan à Rubaya.

Ainsi, sous couvert du "cadre de paix de Washington", Kigali tire profit d'un double discours : d'un côté, celui du pacificateur régional ; de l'autre, celui de l'agresseur silencieux qui profite économiquement du chaos qu'il entretient.

1.3 Les accords RDC–Rwanda : une illusion de coopération

Le système de Washington, sous couvert d'intégration régionale, se transforme en outil d'annexion économique indirecte. La RDC n'obtient que des miettes — quelques promesses d'investissements et de soutien logistique — sans réelle restauration de sa souveraineté territoriale ou économique. L'accord de Washington de juin 2025, bien que présenté comme une avancée, n'a produit aucun changement concret sur le terrain.

2. Le système de Doha : une paix de reconnaissance qui institutionnalise la balkanisation

2.1 Origine et logique du système de Doha

Le "système de Doha" fait référence aux négociations initiées au Qatar en avril 2025, où des diplomates, représentants occidentaux et délégués du M23 se sont retrouvés pour explorer une issue politique au conflit de l'Est.

Contrairement au système de Washington (plus global et économique), le système de Doha repose sur une logique de reconnaissance politique : il vise à intégrer le M23 dans un processus de dialogue formel, le présentant non comme un groupe rebelle terroriste, mais comme un acteur légitime des négociations.

Cette approche, défendue par le Rwanda, postule que la paix ne peut se construire sans le M23, présenté comme représentant d'une communauté "marginalisée" (les Tutsis congolais). Cependant, cette narrative occulte sciemment le rôle direct et documenté du Rwanda dans la formation, l'armement, le commandement et le financement du M23.

2.2 L'offensive de janvier-février 2025 : un contexte de conquête territoriale

Le processus de Doha s'est ouvert alors que le M23, avec le soutien massif des Forces de défense rwandaises (FDR), lançait sa plus importante offensive depuis 2012. Le 28 janvier 2025, le M23 s'est emparé de Goma, capitale du Nord-Kivu et ville d'un million d'habitants, malgré la présence de la MONUSCO, des forces de la SADC et de milices locales. Le 15 février 2025, c'est Bukavu, capitale du Sud-Kivu, qui est tombée.

Ces conquêtes ont été rendues possibles par un soutien rwandais massif. Le rapport du Groupe d'experts de l'ONU, publié en juillet 2025, confirme le déploiement d'au moins 6 000 soldiers rwandais en territoire congolais. Ce soutien inclut :

  • Des formations militaires dans des camps situés au Rwanda ;
  • La fourniture d'armements sophistiqués : drones turcs Bayraktar TB2, systèmes de missiles chinois SHORAD, équipements de guerre électronique ;
  • Un commandement opérationnel coordonné impliquant des officiers supérieurs rwandais identifiés par l'ONU, dont James Kabarebe (ministre de la Coopération régionale), le général Vincent Nyakarundi (chef d'état-major des FDR) et le général Patrick Karuretwa.

Cette offensive a causé près de 3 000 morts, dont le gouverneur militaire provincial, et provoqué le déplacement de 500 000 personnes supplémentaires, s'ajoutant aux 2 millions de déplacés déjà recensés dans l'Est du pays.

2.3 La signature de Doha : une reconnaissance piégée

Malgré ce contexte de conquête militaire, ou plutôt à cause de lui, le 19 juillet 2025, la RDC et le M23 ont signé à Doha une déclaration de principe comprenant un engagement pour un "cessez-le-feu permanent". Cette déclaration prévoyait :

  • L'ouverture de négociations formelles au plus tard le 8 août 2025 ;
  • La signature d'un accord de paix global au plus tard le 18 août 2025 ;
  • Une "feuille de route pour le rétablissement de l'autorité de l'État" dans les zones contrôlées par le M23.

Cependant, ces échéances n'ont pas été respectées. En novembre 2025, aucun accord de paix définitif n'a été conclu. Les combats se poursuivent sporadiquement, le M23 maintient son contrôle sur Goma, Bukavu et les zones minières stratégiques, et pose de nouvelles conditions avant tout accord : libération de centaines de prisonniers, levée des mandats d'arrêt contre ses membres, et reconnaissance de son statut politique.

En participant à ces négociations, la RDC est tombée dans un piège de légitimation. Elle reconnaît implicitement le M23 comme un acteur politique, alors même qu'il est responsable de crimes de guerre et qu'il n'est qu'un proxy de l'armée rwandaise.

2.4 Les conséquences de cette reconnaissance

Cette posture affaiblit dramatiquement la position de Kinshasa :

  • Elle sape la crédibilité du gouvernement congolais, incapable de protéger sa population ;
  • Elle conforte la narrative rwandaise selon laquelle le conflit serait "interne" et non une agression étrangère ;
  • Elle éloigne la possibilité d'une justice internationale contre Kigali pour ses ingérences documentées et répétées ;
  • Elle crée un précédent dangereux : toute rébellion armée soutenue par un État voisin peut désormais exiger une reconnaissance politique en échange d'un cessez-le-feu.

Le système de Doha, censé apaiser, entérine au contraire la division territoriale et morale du pays. Il institutionnalise la présence du M23 dans les zones conquises et prépare une partition de fait du territoire congolais.

3. Les erreurs structurelles et la faiblesse stratégique de la RDC

3.1 Une lecture erronée des causes du conflit

Pendant des années, la RDC — sous pression internationale — a accepté la narrative selon laquelle les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) constituaient la principale cause de l'instabilité régionale.

Cette vision, promue par Kigali, a permis au Rwanda de justifier ses incursions militaires au Congo comme des "opérations préventives" contre les FDLR, alors qu'elles servaient de couverture à des objectifs économiques et territoriaux bien documentés.

En se focalisant sur cette menace périphérique, Kinshasa a négligé la véritable nature du projet rwandais : un projet expansionniste systématique visant à transformer le Kivu en zone tampon économique et sécuritaire sous influence directe de Kigali.

Le président Félix Tshisekedi, après plusieurs années de confiance dans la diplomatie régionale, a finalement reconnu publiquement que le Rwanda cherche à annexer le Kivu, non à protéger une minorité ethnique menacée. Mais cette prise de conscience arrive tardivement, après des années de concessions diplomatiques.

3.2 Une dépendance diplomatique et sécuritaire risquée

Face à son incapacité à défendre le territoire national, la RDC multiplie les partenariats externes : États-Unis, France, forces de la SADC (Afrique du Sud, Malawi, Tanzanie), Burundi, Ouganda. Paradoxalement, cette dépendance stratégique dilue la souveraineté nationale dans un ensemble d'intérêts contradictoires.

Chaque partenaire étranger agit selon ses propres priorités — économiques, militaires ou diplomatiques — rarement alignées sur celles du peuple congolais :

  • Les États-Unis privilégient l'accès aux minerais stratégiques ;
  • La France cherche à maintenir son influence dans la région des Grands Lacs ;
  • Les pays de la SADC poursuivent leurs propres agendas sécuritaires ;
  • Le Burundi craint une déstabilisation similaire orchestrée par le Rwanda.

Pendant que la RDC attend des secours extérieurs, ses voisins construisent des stratégies de long terme fondées sur sa fragilité. Le Rwanda, lui, transforme sa petite taille en avantage stratégique : il agit rapidement, parle d'une seule voix, et exploite méthodiquement les divisions congolaises.

3.3 Une gouvernance interne incapable de résistance

Au-delà de la diplomatie, le principal talon d'Achille de la RDC réside dans sa gouvernance interne défaillante :

  • Corruption endémique à tous les niveaux de l'État ;
  • Armée (FARDC) fragmentée, sous-équipée et souvent indisciplinée ;
  • Absence de contrôle effectif des frontières orientales ;
  • Faible cohésion nationale et divisions ethno-régionales exploitables ;
  • Incapacité à générer des revenus fiscaux suffisants malgré d'immenses richesses minières.

Cette désorganisation chronique rend le pays structurellement vulnérable aux manipulations extérieures. Tant que le pouvoir congolais ne bâtira pas une vision nationale claire de sécurité et de développement, il restera prisonnier de cadres imposés par d'autres acteurs plus organisés et plus déterminés.

4. Les conséquences : vers une balkanisation silencieuse

Les deux systèmes — Washington et Doha — convergent vers un même résultat funeste : la déconstruction progressive de la souveraineté congolaise.

  • Le système de Washington légitime une dépendance économique et sécuritaire où le Rwanda devient le partenaire privilégié des grandes puissances occidentales, malgré son rôle d'agresseur documenté ;
  • Le système de Doha confère une reconnaissance politique au M23 et prépare une partition de fait du territoire congolais, en institutionnalisant le contrôle rebelle sur des zones stratégiques.

Dans les deux cas, Paul Kagame sort gagnant :

  • Il obtient la reconnaissance internationale comme acteur incontournable de la stabilité régionale ;
  • Il consolide la présence militaire rwandaise dans le Kivu ;
  • Il détourne les richesses minières vers Kigali à travers des circuits désormais quasi-institutionnalisés ;
  • Il impose son agenda politique à Kinshasa malgré les résolutions de l'ONU.

Pendant ce temps, la RDC reste engluée dans une logique défensive et réactive, accumulant les défaites diplomatiques et territoriales.

La balkanisation du Congo n'est donc pas un projet brutal d'annexion militaire classique, mais un processus graduel et sophistiqué d'érosion de la souveraineté, orchestré à travers des mécanismes de paix détournés de leur objectif initial. C'est une conquête par instrumentalisation diplomatique.

5. Les réactions internationales : entre condamnations et impuissance

Face à cette situation, la communauté internationale a multiplié les déclarations et les mesures, sans parvenir à inverser la dynamique sur le terrain.

5.1 Résolutions de l'ONU

Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté unanimement, en février 2025, une résolution condamnant fermement l'offensive du M23 et exigeant :

  • L'arrêt immédiat des hostilités ;
  • Le retrait du M23 de toutes les zones contrôlées ;
  • Le retrait "sans conditions" des Forces de défense rwandaises du territoire congolais ;
  • Le démantèlement des administrations parallèles établies par le M23.

Cependant, ces exigences sont restées lettre morte. Le Rwanda continue de nier toute implication militaire directe, malgré les preuves accablantes du Groupe d'experts de l'ONU.

5.2 Sanctions de l'Union européenne

En mars 2025, l'Union européenne a imposé des sanctions ciblées contre des officiers rwandais et des leaders du M23, incluant :

  • Des officiers des FDR : Ruki Karusisi, Eugène Nkubito, Pascal Muhizi ;
  • Des dirigeants du M23 : Bertrand Bisimwa, Désiré Rukomera, Jean-Bosco Nzabonimpa Mupenzi ;
  • Francis Kamanzi, PDG du Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board, pour son implication dans l'exploitation illégale de minerais.

Ces sanctions, bien que symboliquement importantes, n'ont pas modifié le comportement du Rwanda ni freiné l'avancée du M23.

5.3 Retrait de la médiation angolaise

En mars 2025, le président angolais João Lourenço s'est retiré de son rôle de médiateur, après des années d'efforts infructueux dans le cadre du processus de Luanda. Ce retrait symbolise l'échec des médiations africaines traditionnelles face à la détermination rwandaise et à la faiblesse congolaise.

6. Perspectives et voies de résistance

Pour sortir de cette spirale destructrice, la RDC doit repenser radicalement sa stratégie à plusieurs niveaux :

6.1 Recentrer la diplomatie sur la souveraineté nationale

La RDC doit refuser les cadres diplomatiques imposés sans garanties réelles de neutralité et de respect de la souveraineté. Cela implique :

  • D'exiger systématiquement le retrait préalable de toutes les forces étrangères avant toute négociation ;
  • De privilégier des alliances basées sur la réciprocité effective, notamment avec des acteurs africains partageant une vision panafricaniste authentique ;
  • De rejeter toute négociation directe avec le M23 tant qu'il n'a pas déposé les armes et accepté sa dissolution ;
  • D'exiger la reconnaissance internationale du Rwanda comme État agresseur, conformément aux rapports documentés de l'ONU.

6.2 Réhabiliter la légitimité et la capacité internes

Renforcer les institutions nationales constitue la priorité absolue :

  • Restructurer, professionnaliser et équiper l'armée (FARDC) de manière urgente ;
  • Rétablir le contrôle effectif des frontières orientales ;
  • Combattre la corruption systémique qui sape la crédibilité de l'État ;
  • Restaurer la confiance du peuple dans les institutions nationales ;
  • Développer une véritable cohésion nationale au-delà des divisions ethniques et régionales.

Une armée restructurée, disciplinée, bien équipée et loyale est la première condition d'une paix durable. Sans capacité militaire crédible, toute négociation diplomatique se fera en position de faiblesse.

6.3 Réorienter le discours international

La RDC doit systématiquement dénoncer la duplicité des acteurs extérieurs qui soutiennent simultanément les victimes et les agresseurs. Cela nécessite :

  • Une diplomatie offensive et non plus seulement défensive ;
  • L'utilisation systématique des forums internationaux (ONU, Union africaine, Cour pénale internationale) ;
  • La documentation rigoureuse des crimes de guerre et crimes contre l'humanité ;
  • La mobilisation de l'opinion publique internationale contre l'agression rwandaise ;
  • L'exigence d'une responsabilité pénale internationale pour les dirigeants rwandais impliqués.

6.4 Valoriser les ressources nationales de manière souveraine

La RDC doit mettre en place des partenariats transparents et équitables pour l'exploitation minière :

  • Renégocier les contrats léonins qui dépossèdent le pays de ses richesses ;
  • Créer des mécanismes de traçabilité stricte des minerais pour combattre la contrebande ;
  • Développer une industrie de transformation locale pour capturer plus de valeur ajoutée ;
  • Diversifier les partenaires économiques pour réduire les dépendances unilatérales ;
  • Investir massivement les revenus miniers dans la défense, l'éducation et les infrastructures.

6.5 Construire une coalition régionale de résistance

La RDC ne peut affronter seule l'expansionnisme rwandais. Elle doit :

  • Renforcer ses alliances avec les pays également menacés (notamment le Burundi) ;
  • Proposer une vision alternative d'intégration régionale basée sur le respect mutuel ;
  • Mobiliser les institutions africaines (Union africaine, SADC, Communauté d'Afrique de l'Est) ;
  • Documenter et partager les preuves de l'agression rwandaise avec tous les acteurs régionaux.

Conclusion : une paix confisquée, une souveraineté à reconquérir

L'analyse des systèmes de Washington et de Doha révèle un paradoxe tragique : la paix n'est plus un objectif sincère, mais un prétexte pour l'expansion géopolitique.

Dans les deux approches, le Rwanda capitalise méthodiquement sur la faiblesse congolaise pour étendre son influence territoriale, économique et politique, tandis que la RDC, faute de stratégie unifiée et de capacités effectives, se contente de réponses diplomatiques symboliques qui ne changent rien sur le terrain.

Les événements de 2025 ont confirmé cette analyse :

  • L'offensive de janvier-février 2025, qui a abouti à la conquête de Goma et Bukavu, démontre l'ampleur du soutien militaire rwandais au M23 ;
  • L'accord de Washington de juin 2025 illustre la préférence américaine pour une "stabilisation" rapide qui ne remet pas en cause les intérêts rwandais ;
  • Le processus de Doha, malgré la signature d'une déclaration de principe en juillet 2025, a échoué à produire un accord de paix et a surtout servi à légitimer le M23 comme acteur politique ;
  • Les sanctions internationales, bien que symboliquement importantes, n'ont pas modifié le comportement des acteurs sur le terrain.

Le président Tshisekedi, en reconnaissant enfin que l'objectif du Rwanda est l'annexion du Kivu, a mis des mots sur une réalité que les rapports de l'ONU documentent depuis des années. Mais cette prise de conscience, si elle ne s'accompagne pas d'un changement radical de stratégie, risque d'arriver trop tard.

La paix véritable au Congo ne viendra ni de Washington ni de Doha, mais d'une reconstruction de la puissance congolaise, fondée sur :

1.   La souveraineté territoriale effective et non négociable ;

2.   La justice pour les crimes commis et les responsabilités établies ;

3.   La capacité de résistance militaire, économique et diplomatique face aux manipulations extérieures ;

4.   La légitimité interne retrouvée à travers une gouvernance efficace et inclusive ;

5.   Une vision stratégique claire et unifiée de l'intérêt national.

Tant que la RDC n'imposera pas son propre cadre de paix, elle restera prisonnière de ceux qui prétendent la sauver tout en profitant de sa faiblesse. La reconquête de la souveraineté congolaise passe nécessairement par le refus des fausses paix qui institutionnalisent la dépossession.

Le choix est désormais clair : accepter une balkanisation progressive déguisée en processus de paix, ou refuser ces cadres piégés et reconstruire, patiemment mais résolument, les fondations d'un État souverain capable de défendre son territoire et ses intérêts.

L'histoire jugera sévèrement ceux qui, par faiblesse ou complaisance, auront accepté le démantèlement silencieux d'un des plus grands pays d'Afrique.

Préparé par :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance, London, UK

Version actualisée : Novembre 2025


Sources et références complémentaires

  • Rapports du Groupe d'experts de l'ONU sur la RDC (mai-juillet 2025)
  • Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU (février 2025)
  • Déclaration de principe de Doha (19 juillet 2025)
  • Accord de paix RDC-Rwanda de Washington (27 juin 2025)
  • Sanctions de l'Union européenne (mars 2025)
  • Rapports du US Geological Survey sur les exportations minières rwandaises (2022-2025)
  • Analyses de Crisis Group International, ACLED, et United States Institute of Peace (2025)